Notre Pain Quotidien (1:32:11) de Nikolaus Geyrhalter
Un documentaire coup de poing sur la déshumanisation de l’industrie agroalimentaire !
Pendant deux ans, Nikolaus Geyrhalter a placé sa caméra au coeur des plus grands groupes européens agricoles, nous donnant accès des zones inaccessibles. Il a filmé les employés, les lieux et les différents processus de production pour réaliser un documentaire cinéma qui interroge et implique intimement chaque spectateur.
Notre pain quotidien ouvre une fenêtre sur l’industrie alimentaire de nos civilisations occidentales modernes. Réponse à notre sur-consommation, la productivité nous a éloigné d’une réalité humaine pour entrer dans une démesure ultra-intensive qui a rejoint les descriptions des romans d’anticipation.
Cadrages minutieusement composés, images cristallines, montage fluide construisent un film sans commentaire, sans propagande, dont les images parlent et demeurent. Notre Pain Quotidien questionne, inquiète et fascine.
Dans Notre pain quotidien, il y a en germe le pain, mais aussi le steak, les croquettes de poulet, les tomates et le bacon, le lait et la pomme, tout ce qu’un habitant d’un pays développé consomme chaque jour. Avant le supermarché ou le restaurant, il y a eu les champs et la ferme. Des mois durant, à travers l’Union européenne (Danemark, France, Allemagne, Espagne, Pologne), le documentariste autrichien Nikolaus Geyrhalter a glané de longs moments dans les étables, les champs, les abattoirs, pour montrer comment on fait vivre des plantes ou des animaux qui vont nourrir les hommes.
Il en a fait un film déconcertant, puis fascinant, qui donne le vertige tant il associe la beauté et l’horreur, l’admiration et la répulsion. Il y a le spectacle d’une gigantesque serre vide, illuminée la nuit, au milieu d’un désert (sans doute en Andalousie) ; on la verra verdir, fleurir, se remplir de fruits (des poivrons), se vider à nouveau. Et il y a l’abattage et l’équarrissage des porcs, dont la couleur rose et l’absence de pelage les font tant ressembler à des Européens que les images deviennent insupportables.
Il n’y a que ça dans Notre pain quotidien, des images organisées. Pas de commentaires, pas d’entretiens. Le film en prend un côté ludique. On voit une opération s’accomplir, qu’elle soit l’oeuvre de l’homme ou d’une machine. A quoi servent ces corsets métalliques dans lesquels des ouvrières enferment des porcelets ? Probablement à maintenir Naf Naf et ses frères pendant qu’on les castre. Les semailles et les moissons mobilisent des machines aussi complexes que spécialisées dont la destination mystifiera ceux qui en sont restés à la moissonneuse-batteuse.
L’EFFROI ET L’ÉMERVEILLEMENT
Ce mélange de mystère et de puissance est magnifié par les partis pris de Geyrhalter. Il filme souvent en plans larges et fixes, composés avec clarté et équilibre, qui permettent d’englober la répétition d’un geste, d’une opération. Un homme descend l’allée interminable d’un poulailler industriel en farfouillant dans les cages, et on reste assez longtemps avant de comprendre qu’il en enlève les poulets qui meurent chaque jour. Cette froideur peut apparaître comme un détachement. On peut en concevoir un effroi mêlé de colère.
Sans que jamais s’éteigne l’émerveillement que suscite l’ingéniosité de l’agriculture moderne (on dirait qu’une machine a été inventée pour chaque opération, la cueillette du poivron ou la collecte du sperme de taureau), on prend conscience des sacrifices qu’implique la production de masse. Non seulement la qualité d’être vivant est retirée aux animaux, qui ne sont plus qu’une matière première. Mais les hommes et femmes au travail (à qui le metteur en scène a choisi de ne pas donner la parole) apparaissent comme des éléments interchangeables.
On peut jouir de la charge esthétique de ce film et en tirer une conclusion inverse, estimer que cette agriculture est celle dont notre monde a besoin. C’est une vertu que de laisser au spectateur une entière liberté de pensée.